Voici des
ailes!
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Le vélo
comme objet de désir? Mais oui!
Quand la
bicyclette a commencé à être commercialisée
à
la fin du 19ème siècle, c'était
un objet de grand luxe, destiné au gratin* de la bourgeoisie
Parisienne.
Mais il y
avait juste un petit problème: le produit lui-même.
Les premières bicyclettes étaient lourdes, très
inconfortables et pas très compatibles avec les modes
vestimentaires de l'époque.
Quel joli défi
pour l'industrie naissante de la publicité! Tel est le point de départ
de 'Voici des ailes' - une exposition passionnante sur les affiches
publicitaires pour le vélo de 1890 à
1938, actuellement au musée d'Art et d'Industrie de Saint
Étienne dans le département de la Loire.
Anne-Sophie Giraud nous fait les honneurs de la maison:
«Faire du cheval, à cette époque-là, c’est bien, mais c’est un petit peu commun et quand on veut se démarquer, quand on veut paraître un peu snob, eh bien, on va prendre
une bicyclette.
«Alors au départ, la première chose qu’on essaie de faire, c’est de dire que la
bicyclette est quelque chose de rapide et de léger. Et puis on veut faire plaisir aux gens. On veut convaincre les
messieurs, donc au départ on va plutôt présenter des dames qui sont très très légèrement vêtues, pour leur faire acheter les
bicyclettes. C’est comme les voitures
actuellement. Les dames, elles sont pas bien habillées. C’est pas très pratique, c’est pas très confortable, mais ça attire l’oeil, et donc c’est pour ça qu’on utilise ce mode d’expression.
«Par contre, si on veut convaincre
les dames, là on va dire qu’elles ne vont pas perdre leur respectabilité, parce que à cette époque-là, enfourcher** un engin… On monte le cheval en amazone, donc enfourcher une bicyclette c’est mal vu. Est-ce que les dames ne vont pas perdre leur vertu?
«Donc on va essayer de convaincre.
Alors comme Imbert, Imbert, cette marque en fait va utiliser le même mode d’expression que les images de catéchisme, en fait. On retrouve les mêmes personnages, voyez les petits anges avec une tête et des petites ailes … Les mêmes fonds aussi. On a l’impression que c’est dans les cieux et puis la dame, elle ressemble presque à une sainte et elle a le costume adéquat. Alors, voyez, elle a le petit chapeau, le corsage bien cintré. Alors, ce n’est pas une jupe culotte apparemment,
c’est plus un 'bloomer'. C’est une sorte de pantalon, pantalon jupe, parce que ça, ça choquait énormément les contemporains, et puis
des bottines qui lui montent quasiment jusqu’aux genoux pour pas montrer la jambe, parce que outre le fait d’enfourcher la bicyclette, il y avait aussi la jambe qu’on allait découvrir, donc ça c’était vraiment hors de question.»
« Il y a beaucoup de recours
aussi aux animaux. Donc, ' les
hirondelles'*** qui est une marque de Saint Etienne, la marque de
Manufrance, pour la légèreté, et puis on a des guêpes, nous avons des papillons, nous avons des aigles. Il y a toute
cette thématique qui est présente.»
« Alors la légèreté, c’est un gros problème parce que les vélos à cette époque-là, ils pèsent plus 30 kilos que 10 kilos
comme actuellement. Donc il faut dire aux gens que la bicyclette, ça va vite et
que on n’a pas de soucis, que c’est confortable. Donc ce sont les débuts de la publicité mensongère aussi. Le monsieur est un concessionnaire de la marque à Paris et il va convaincre les dames, donc il est très bien habillé. Là aussi pour les messieurs il y a un problème de costume qu’il faut résoudre… Donc, c’est un coquet, c’est un dandy et il
tient sa bicyclette avec trois doigts, et puis d’un air très dégagé. Donc là, les dames, elles sont en admiration, et au final elles vont partir
toutes sur une bicyclette. »
« Pour la vitesse aussi, on a
un côté un petit peu loufoque****, un petit côté grinçant, provocant. Donc on a une publicité américaine, la marque Buffalo. Voyez
la dame, là, c’est une jolie coquette, c’est une jolie
Parisienne. Elle a une petite fleur dans les cheveux. Elle a son petit bouquet
de fleurs à l’avant. Elle est toute mignonne, sauf que elle a écrasé les lièvres tellement elle allait vite. Donc, ça, voyez, peut-être que ça choquait moins les contemporains à l’époque mais maintenant, c’est politiquement incorrect. On n’aurait plus l’idée de le mettre pour dire qu’on va très vite. »
«Il y a aussi le recours au diable
pour la Coventry Cross Cycle. En fait, là le diable c’est plus un Méphisto. On est à cette époque où il y a le mythe de Méphisto qui est assez
ressorti, et le Diable traditionnellement il avait des bottes de sept lieues,
pour aller très très vite. Et là comme c’est un diable moderne, il a enlevé ses bottes de sept
lieues, il a acheté une bicyclette, donc il va encore
plus vite. C’est impeccable. Il effraie par la
même occasion le paysan. Alors, le
paysan, là, c’est vraiment un côté très péjoratif. C’est le côté terreux, celui qui est vraiment
archaïque et qui est vraiment impressionné par le progrès… qui passe.»
Au début
du 20ème siècle le marché
de la haute bourgeoisie était saturé,
et puis il y a eu l'arrivée des voitures qui sont devenues
la dernière mode. Les fabricants de vélos ont eu besoin de
chercher leurs ventes ailleurs. Et donc le vélo s'est démocratisé*****:
«Le tourisme apparaît à cette époque et pour la petite
bourgeoisie qui a moins d’argent, un des moyens
de partir, de partir loin, c’est d’avoir un vélo. Donc, dans nos affiches, outre
la présentation du vélo, vous avez aussi la présentation du paysage.
Alors un paysage plus ou moins réaliste, mais un paysage
qui met l’accent sur la mer ou sur la
montagne.
« Et puis vous avez aussi,
pour convaincre les classes ouvrières dans les années 30, une autre forme de graphisme. Vous avez la marque Terot là, qui présente apparemment, une dame, une
ouvrière et son mari, avec les bérets, donc là bien français aussi, et qui
serait plutôt inspirée un petit peu par le cubisme. C’est assez abstrait, là il y a pas du tout de
paysage. Ou aussi vous avez le recours, comme la marque de Saint-Étienne, la
marque Ravat à tout ce qui est ' comics', à tout ce qui est BD américaines. Donc là, avec la bicyclette Ravat on a l’impression que c’est Super Ravat, que c’est un Superman qui est
figuré sur l’image. Pareil avec les cycles Laborde, là on a plus l’impression que c’est les Pieds Nickelés qui font du vélo. Donc là on s’intéresse vraiment à une clientèle populaire.»
A part le vélo
lui-même, il y avait tous les accessoires à
vendre aussi. Et quand on a inventé le pneu gonflable tout
le monde a pensé que c'était le gros lot. Un peu trop
de monde justement...
«Le pneu, c’est un petit peu l’ambiance de la ' start
up' qu’on a eu il y a deux ou trois ans.
Tout le monde se met à faire des pneus. Tout le monde
essaie de communiquer et, au final, il y en a très peu qui vont survivre. Donc, pour se faire remarquer, en fait, ils
utilisent beaucoup les modes humoristiques et puis ils ont quasiment tous la même façon de communiquer. Alors maintenant on connaît le ' bibendum'
Michelin, mais en fait à cette époque-là, toutes les marques utilisaient
des Bibendum. Alors, vous avez l’affiche de Larue qui
est très intéressante parce que vous avez des bibendum, et puis sur ces affiches de
pneus, très souvent on fait appel aux
Indiens. Donc là, on retrouve ces deux thématiques. Alors les Indiens, ça symbolisait bien en fait les pneus qui
allaient crever, les flèches. On retrouve sur énormément d’affiches, justement, un Indien qui est en colère parce qu’il arrive pas à crever un pneu et qui est obligé de le finir à la dent parce que sa flèche a été inefficace.»
Saint-Étienne était le plus grand
centre de fabrication de vélos en France, surtout avec les
usines ManuFrance. Certaines des affiches rappellent cette époque
dans des termes un peu surprenants de nos jours.
« Ici, vous avez un retour
sur les industries françaises et leur façon de communiquer. Ce sont des
couleurs rouges, vous avez des grosses cheminées, des grandes cheminées qui crachent
vraiment une épaisse fumée. Actuellement c’est quelque chose qui
passe très mal parce que quand on voit
cette image on a l’impression que c’est la pollution.»
Vous serez
peut-être peu nombreux à pouvoir aller à
Saint-Etienne pour voir cette exposition avant sa fermeture le 22
septembre. Mais il y a un catalogue très richement illustré
avec des longs textes détaillés
et amusants, et ça va sûrement vous plaire si le sujet vous accroche.