C'est du billard*!
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«Le billard français c'est un miroir, c'est-à-dire que lorsque vous vous présentez sur le billard vous êtes seul et vous ne pouvez pas tricher avec vous-même. Vous ne pouvez pas faire semblant parce que lorsque vous ratez, vous allez vous asseoir. Il y a rien à dire. Vous ratez : vous allez vous asseoir. Donc, le billard, si vous voulez, lorsque vous êtes en train de jouer vous mettez en œuvre pas mal de choses très personnelles, c'est-à-dire la concentration, votre manière de vous comporter autour du billard. Moi je vois quelqu'un jouer pendant une demi-heure, je peux vous dire à peu près quels sont les grands traits de sa personnalité, parce qu'on voit si la personne… s'il est cabotin, s'il est introverti, s'il est extraverti, s'il est capable de prendre des décisions rapidement, s'il prend des risques, si c'est quelqu'un qui est très calculateur, si c'est quelqu'un qui va se lancer dans l'aventure sans peser le pour et le contre, vous voyez, il y a plein de choses comme ça qu'on peut… et il y a beaucoup de travail intérieur, c'est-à-dire intérioriser le mécanisme, ça veut dire travailler… c'est presque du yoga, quoi. D'ailleurs il faut faire du yoga pour être bon joueur.»

Jos Louis Sanchez explique sa passion pour le billard français.  Vu de l'extérieur, ce jeu qui ne comporte que trois billes et n'a pas de poches peut sembler sans grand intérêt.  Vu de l'intérieur c'est complètement autre chose...

«Le billard français en vérité ça s'appelle 'le billard carambole'. les règles de base du billard carambole, ça se joue avec trois billes: une bille qui est pointée, blanche pointée, une bille blanche non pointée et une bille rouge. 
Celui qui commence la partie commence toujours avec la bille non pointée et il conserve la même bille tout le long de la partie. Alors, c'est des parties qui se jouent en un certain nombre de points suivant les catégories de force. 

«Lorsque vous commencez la partie, vous commencez toujours avec la bille non pointée, vous conservez la même bille tout le long de la partie; c'est la règle. Donc le jeu consiste à caramboler la bille numéro 2, en considérant que celle que vous jouez c'est la bille numéro 1, hein. Vous caramboler la bille numéro 2, pour ensuite aller caramboler la bille numéro 3. C'est… en l'espèce, ça veut dire que vous avez réalisé le point, la carambole, hein. Mais le problème et le but du jeu, c'est quand même de récupérer les billes toujours en paquet, le plus près possible. Donc la difficulté, elle consiste justement à faire le point tout en récupérant les billes, ce qui veut dire maîtriser le roulement des billes, maîtriser la direction de la bille numéro 2, maîtriser la direction de la bille numéro 1 et maîtriser aussi la topographie du billard qui est en fait une aire de jeu dans laquelle il y a des secteurs qui sont favorables et des secteurs qui sont défavorables forcément, puisque les secteurs défavorables, c'est tout ce qui se trouve au milieu du billard puisqu'il y a moins de points d'appui, puisque au milieu du billard vous avez que deux bandes de points d'appui, alors que tous les secteurs de côté, vous avez sept points d'appui, hein, puisque vous avez une partie de la grande bande, la petite bande et la grande bande. Tout ça ce sont des alliés, des points d'appui. Donc c'est très important de connaître la topographie du billard et ensuite de connaître le mouvement des billes.»

Les grands joueurs peuvent faire des séries de 300 points d'affilée, donc il faut être patient pour jouer avec.  Et  les joueurs de snooker et de pool vont  trouver ça difficile, peut-être, d'imaginer la vie sans le plaisir de voir les billes disparaître au fond des poches latérales.

«Ça correspond à une culture, tout simplement. C'est comme si vous compariez la littérature française avec la littérature américaine. Ce sont deux littératures intéressantes mais qui sont complètement différentes, comme le cinéma, ou comme beaucoup d'autres choses, hein. 

«Le billard français, enfin, le billard carambole, existe depuis le XVième siècle, hein, même avant, et c'est une pratique qui demande beaucoup de concentration, beaucoup de travail et d'abord beaucoup de connaissances et c'est un travail sur soi, on peut l'assimiler un peu au golf ou au tir à l'arc, au niveau de l'introspection, du travail intérieur. Parce que comme il y a deux aspects importants dans le billard comme dans le golf comme dans beaucoup d'autres sports similaires, il y a un côté mécanique et un côté conceptuel. Ces deux choses-là ne vont pas forcément ensemble. Donc il faut travailler le côté conceptuel, donc toute la théorie et tout le côté abstrait du billard et ensuite il faut beaucoup travailler le côté mécanique, le côté concret, la réalisation. Tout ça passe par des phases de travail et d'apprentissage.

«Un fort joueur il a toujours les billes en paquet. Il a toujours les billes groupées. Donc pour le béotien, la personne qui ne sait pas, elle trouve ça facile mais la personne qui connaît un peu le billard et qui connaît toutes les difficultés que ça représente, elle peut apprécier. Mais c'est impossible à expliquer à quelqu'un qui ne connaît pas. Elle peut regarder et dire " ça c'est curieux, il y a quand même quelque chose qui se passe parce que le gars, il a les billes à un mètre cinquante et deux coups après il a les billes en paquet, et il arrête plus de jouer. Donc c'est qu'il y a une maîtrise quelque part. Alors pour quelqu'un qui ne connaît pas, qui voit ça… il y a un effet d'illusion, mais ce n'est que de l'illusion.» 

Le pool américain a monté en popularité ces derniers temps, au détriment du billard français.  Mais chez José Louis il n'y a pas de jalousie. Il évoque un respect mutuel, sans cacher sa préférence pour le jeu qu'il aime.

«C'est beaucoup plus rigoureux dans la mesure où en billard français on ne parle pas, on s'asseoit pour ne pas gêner l'adversaire, euh, il y a une approche de… comment dirais-je, culturelle, qui est complètement différente. Le billard américain, les gens parlent, fument, boivent de la bière, ils se font de l'intox*… vous voyez c'est complètement… alors que le billard français pas du tout. Il y a le silence absolu. La personne qui ne joue pas est sur son siège. Elle n'intervient absolument pas dans l'aire de jeu. La gars qui est sur le billard, il joue et il est arbitré. Il y a un arbitre officiel. Personne ne discute de ça, quoi. Donc, c'est un autre monde, ça n'a rien à voir, hein.

«Si vous regardez dans les années 1920 -1930, quand il y avait un championnat de France de billard français, le président de la République se déplaçait. C'était une activité sportive -parce que c'est quand même un sport malgré toutes les apparences- qui était très répandu dans tous les pays francophones et dans toutes les colonies françaises. Il y avait des billards dans tous les bars, avant, dans tous les bars, et tout le monde jouait au billard. Il y avait beaucoup moins de distractions que maintenant. Il y avait moins de cinémas. Il y avait pas la télé. Il y avait pas de vidéos. Donc les gens  allaient beaucoup plus souvent au café. Tout le monde connaît ce que représente d'un point de vue social le café en France. Les gens viennent, se mettent au comptoir, discutent. C'est peut-être un des seuls moyens de communiquer avec des gens qu'on ne connaît pas. Et donc il y avait des billards dans tous les bars et les gens jouaient au billard. Et il y avait des forts joueurs, bien sûr, mais, quand il y avait un championnat, pour donner l'importance que ça avait, le président de la République se déplaçait. La marquise De Sévigné jouait au billard. N'importe quelle personne qui est née, je ne sais pas moi… au début du siècle, connaît le billard. 

Maintenant la tendance s'est un peu inversée. Les gens, les jeunes par l'influence, évidemment, de la culture américaine et anglo-saxonne en général, se sont mis de plus en plus au billard américain ; tout ça par le biais de la publicité et du matraquage américain, quoi. Mais c'est pas grave, parce que un joueur de billard américain, lorsqu'il commence, il connaît pas, mais dès qu'il commence à progresser, c'est-à-dire qu'il a appris, qu'il a travaillé, qu'il commence à progresser dans le billard américain, il se rend compte que le billard français, c'est très difficile et ça l'intéresse. Mais l'inverse est très difficile. Alors que nous, billard français, en général on commence au français et on ne passe jamais à l'américain, quoi. C'est rare.»

Mais ce n'est pas parce que les jeu anglo saxons sont moins nobles...

«Non, parce que quand c'est joué à un haut niveau, c'est pas facile le billard américain. Il y a pas de discipline facile. Il y a que des disciplines qui sont jouées, qui sont maîtrisées, à un niveau plus ou moins haut. Mais dès que le niveau commence à augmenter, c'est difficile à tous les niveaux, à tous les modes de jeux. Le billard américain quand c'est bien joué, c'est très difficile.

«Non, il faut… ça fait partie de l'ordre des choses. La beauté est universelle, hein, l'esthétique, ça après, c'est à chaque individu de… de capter les choses, hein. C'est pas à nous de dire 'venez, c'est bien'. Les gens regardent et s'ils ont une approche esthétique, ils vont forcément être intéressés par le billard français. S'ils ont une approche plus match, plus ollé-ollé*, ils vont jouer au billard américain.»

Et si vous passez à Lyon vous pouvez prendre des cours avec José Louis à l'académie de billard de Lyon, dans la très belle salle Rameau, qui a plus de cent ans. 

«Moi, je suis joueur de première catégorie, c'est-à-dire que je suis à un niveau assez élevé quand même, mais je ne suis pas champion, je ne suis pas master, je ne suis pas professionnel. Je suis juste en-dessous, quoi, c'est-à-dire première catégorie, c'est amateur. C'est ce qu'il y a de plus haut en amateur. Après on passe au master, master c'est les professionnels.»

Il y a une vingtaine de professionnels en France, mais José Louis n'a pas l'ambition d'entrer dans leurs rangs. 

«Non, parce qu'il faut faire que ça. Il faut travailler six heures par jour. C'est un travail, hein, c'est pas… Non, j'ai pas cette prétention-là.»