La classe
unique
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«Monsieur!»
«Monsieur!»
«Monsieur!»
Dans une toute
petite salle de classe en plein milieu de la campagne, un professeur tente
d'effectuer une tâche qui, vue de l'ext¨¦rieur, ¨¤ l'air quasiment*
impossible.
Dans un coin
il y a des gamins de quatre ans, qui se torturent les m¨¦ninges** pour compter jusqu'¨¤ sept ou pour
faire leurs premiers dessins. Dans un autre coin, des enfants de onze ans
doivent pr¨¦parer des examens pour entrer au lyc¨¦e l'ann¨¦e d'apr¨¨s; mais si on
les laissent faire, ils ont une forte tendance ¨¤ se bagarrer, surtout les
garçons. Et le professeur, tout seul, doit essayer de g¨¦rer les besoins tr¨¨s
divers de tous ces esprits curieux.
Ça ressemble aux sc¨¨nes
qu'on peut d¨¦couvrir dans les romans de Charles Dickens, mais ça se passe en
France de nos jours. Un seul professeur pour ¨¦duquer les enfants entre quatre et
onze ans? Ça s'appelle la classe unique et ça existe dans 420 ¨¦coles primaires
un peu partout dans le pays, surtout en milieu rural. Philippe Vartore a
pratiqu¨¦ la classe unique pendant presque dix ans. Comment a-t-il pu survivre?
«C¡¯est bas¨¦ sur des habitudes,
c¡¯est-¨¤-dire que les enfants on les a pendant tr¨¨s longtemps, donc ils sont
bien habitu¨¦s au syst¨¨me. Ils voient les grands fonctionner comme ça, donc,
eux, ils savent que l¡¯ann¨¦e d¡¯apr¨¨s ils vont fonctionner comme ça. C¡¯est¡ Ils
savent ce qu¡¯ils ont ¨¤ faire tous les jours en arrivant ¨¤ telle heure et donc,
c¡¯est ce qui fait qu¡¯on perd pas trop de temps. Ca suppose aussi qu¡¯ils soient
assez disciplin¨¦s pour bien vouloir faire¡
«Alors quand je suis arriv¨¦, ils
avaient de quatre ans jusqu¡¯¨¤ onze ans, mais j¡¯en avais tr¨¨s tr¨¨s peu. J¡¯en
avais sept dans la classe. Ensuite, c¡¯est mont¨¦ jusqu¡¯¨¤ quinze certaines
ann¨¦es, m¨ºme dix-sept au maximum, et puis donc ¨¤ la fin, je les prenais ¨¤ trois
ans au lieu de quatre ans et j¡¯avais une aide maternelle pour m¡¯aider pour les
tout petits.
«Vu qu¡¯ils ¨¦taient pas tr¨¨s
nombreux dans la classe, on peut les suivre individuellement de A ¨¤ Z. Donc,
s¡¯il y en a un qui a des difficult¨¦s, parce qu¡¯ils sont pas forc¨¦ment¡ ils
peuvent ¨ºtre gentils mais ils ont des difficult¨¦s, eh bien, on adapte forc¨¦ment
¨¤ leur niveau ce qu¡¯on leur demande de faire. Et donc, les r¨¦sultats, ¨¤ mon
avis, sont meilleurs que dans une grosse structure, et sur le long terme, eh
bien en sortant d¡¯ici ils savaient lire correctement, ils savaient ¨¦crire
correctement et en arrivant en sixi¨¨me ils ¨¦taient dans les bons ¨¦l¨¨ves du
coll¨¨ge parce qu¡¯i ils avaient ¨¦t¨¦ bien suivis.
«C¡¯est beaucoup plus naturel comme
fonctionnement. Donc, si les petits voient les grands qui travaillent
normalement, eh bien eux, ils ont le comportement des grands. Et les grands,
ils servent de mod¨¨les pour les petits, donc, voil¨¤.»
M.Vartore est
instituteur dans le village d'Avenas, en plein coeur de la r¨¦gion Beaujolaise.
Et comme personne n'a connu autre chose que la classe unique l¨¤-bas, ça cr¨¦e
une ambiance sp¨¦ciale.
«Le village d¡¯Avenas,
c¡¯est un tout petit village. Il y a 129 habitants, enfin ¨¤ peu pr¨¨s, et donc il
y a toujours eu une classe unique, il y a jamais eu plusieurs classes ¨¤ Avenas
et elle a dur¨¦, disons qu¡¯elle a dur¨¦ jusqu¡¯en 2000.
«Si on faisait des sorties, des
voyages, des fois on partait avec tout le village dans le m¨ºme car, donc il y
avait ¨¤ la fois les enfants et les parents, les grands-parents, enfin les
cousins, enfin, c¡¯est vraiment int¨¦ressant, quoi, comme rapport, mais, apr¨¨s,
il y a ceux qui ne sont pas du village, alors eux, ils se rendent compte que ça
a une certaine valeur, la classe unique parce que on n¡¯a pas les m¨ºmes rapports
que dans une grande ¨¦cole, et donc ils appr¨¦cient aussi.»
Mais h¨¦las,
pour ceux qui l'ont appr¨¦ci¨¦e, la classe unique est en train de disparaître.
C'est une question surtout de d¨¦mographie.
«Pendant certaines p¨¦riodes, il y
a eu jusqu¡¯¨¤ 40 ¨¦l¨¨ves dans la classe. Ensuite ça a baiss¨¦ parce qu¡¯il y a eu
l¡¯exode rural et maintenant il y a ¨¤ nouveau des gens qui reviennent ¨¤ la
campagne, ce qui fait qu'elle s¡¯est maintenue malgr¨¦ tout parce qu¡¯il y avait
d¨¦j¨¤ un retour ¨¤ la campagne. Et ensuite, il faut quand m¨ºme que les choses
¨¦voluent pour le futur, parce que les gens qui reviennent maintenant de la
ville, ils souhaitent avoir un peu les m¨ºmes structures qu¡¯en ville. Ils sont
pas assez habitu¨¦s ¨¤ la classe unique. La population locale ici, elle est
pass¨¦e par l¡¯¨¦cole ¨¤ classe unique, donc pour elle c¡¯est normal et ils en gardent
un bon souvenir, donc ils trouvent normal que leurs enfants aillent encore en
classe unique, mais pour ceux qui arrivent de l¡¯ext¨¦rieur, c¡¯est plus dur ¨¤
accepter parce que ça suppose des contraintes diff¨¦rentes de la ville.
«Il y a eu une p¨¦riode de regroupement
p¨¦dagogique. Ca fait d¨¦j¨¤ 20 ans qu¡¯en France il y en a qui se sont mis en
place et donc nous, ça fait aussi pas mal d¡¯ann¨¦es qu¡¯on en parlait de se
regrouper, malgr¨¦ que la classe unique fonctionne, comme j¡¯ai dit, dans une
bonne ambiance, il y a quand m¨ºme des gens qui veulent pas forc¨¦ment venir en
classe unique parce qu¡¯ils ont des contraintes. Pendant longtemps on n¡¯avait
pas de cantine. On prenait pas les enfants avant quatre ans, ou on les prenait
que le matin et pas toute la journ¨¦e, donc quand les mamans travaillent, ça
bloque.»
Et avant de
devenir tous nostalgiques, il faut savoir que la classe unique a ces
inconv¨¦nients. M. Vartore lui-m¨ºme pr¨¦f¨¨re le nouveau syst¨¨me de regroupement:
il peut mieux cibler ses efforts p¨¦dagogiques sur des ¨¦l¨¨ves dans une tranche
d'âge de trois ans. Et puis pour les ¨¦l¨¨ves qui ne s'entendaient pas avec leur
prof, l'ancien r¨¦gime n'a pas ¨¦t¨¦ facile non plus.
«Il y a jamais de conflit. On peut
pas dire qu¡¯il y ait de conflit. Il y a peut-¨ºtre des conflits avec
l¡¯instituteur parce que, ¨¤ force d¡¯¨ºtre toujours avec la m¨ºme personne, si ça
se passe mal on le supporte pas forc¨¦ment¡ Dans les autres ¨¦coles ça change
tous les ans ou tous les deux ans donc on peut ¨ºtre patient, mais donc il y en
a bien qui ont quitt¨¦ l¡¯¨¦cole pour aller ¨¤ une autre ¨¦cole.»
Et puis on
peut se demander si ce monde ferm¨¦ est une bonne pr¨¦paration pour la vie ...
«Ils ¨¦taient bien prot¨¦g¨¦s. Alors
c¡¯est bien, au d¨¦part dans la vie, quand on est petit, d¡¯¨ºtre bien prot¨¦g¨¦.
Apr¨¨s ¡ »
On parle beaucoup de la
classe unique en France en ce moment ¨¤ cause de la sortie dans les cin¨¦mas du
film «Être et avoir», un documentaire de Nicolas Philibert sur l¡¯une de ces
classes en Auvergne.
On y voit
¨¦voluer au quotidien un groupe d¡¯une dizaine d¡¯enfants âg¨¦s de trois ¨¤ onze
ans, Jojo, Nathalie, Guillaume, aux prises avec le dur apprentissage de la
lecture et du calcul, de la grammaire et de l¡¯orthographe, sous la houlette***
bienveillante mais tr¨¨s rigoureuse du maître, monsieur Lopez. C'est un film
tr¨¨s touchant en train de devenir un grand succ¨¨s dans les salles. Si vous avez
l'occasion de le voir, surtout ne manquez pas d'y aller, c'est notre vive
recommandation.
Le site du film «Être et
avoir»