«l'Étrange
Rendez-vous»
«J'aime tout, j'aime tout, j'aime
la façon dont il compose ses images parce qu'on sent qu'il y a un travail
dedans. J'aime la lumi¨¨re. J'aime, oui, la mise en sc¨¨ne. On sent que c'est,
oui, qu'il a pass¨¦ du temps, quoi... et que ce sont des choses qui traversent
le temps, qui sont intemporelles. Eh bien, ce souci de la perfection, quoi...
qui est plus si courant aujourd'hui, je crois, dans la perspective, dans tout,
quoi... et puis cette nostalgie des ann¨¦es 50 qui est bien rendue dans le
moindre d¨¦tail, c'est ça qui fait... Comme Tardy*
quand il fait des Nestor Burma, quoi... On y croit tout de suite. On est
dedans, quoi, parce que on est ¨¤ nouveau dans les ann¨¦es 60 pour Tardy, dans
les ann¨¦es 50 pour Blake et Mortimer, donc ça marche, quoi, voil¨¤!»
Des ¨¦loges
impressionnantes pour Ted Benoît, dessinateur de «L'Étrange Rendez-vous»:
le dernier album de la bande dessin¨¦e «Blake et Mortimer», qui
vient de sortir aux ¨¦ditions Dargaud.
La bande
dessin¨¦e est tr¨¨s suivie en France - on l'appelle le 9¨¨me art. Bien sûr tout le
monde connaît «Ast¨¦rix» et «Tintin», mais ce n'est
pas ça qui attire les vrais amateurs. Non, c'est plutôt un monde imaginaire,
tr¨¨s priv¨¦, ou on vit a l'abri de la banalit¨¦ du quotidien ...
Le professeur
Philip Mortimer et le capitaine Francis Blake sont deux h¨¦ros l¨¦gendaires du
genre. Ils ont ¨¦t¨¦ cr¨¦¨¦s lors de l'apr¨¨s-guerre par le dessinateur belge
Edgar-Pierre Jacobs. Blake et Mortimer sont deux Britanniques qui
poss¨¨dent un flegme exemplaire lorsqu'ils sont face ¨¤ l'adversit¨¦.
Les volumes de Jacobs
ont ¨¦t¨¦ tr¨¨s bien accueillis ¨¤ la fois pour la tr¨¨s grande qualit¨¦ du dessin et
la cr¨¦dibilit¨¦ du monde imaginaire, avec des sc¨¦narios de science
fiction.
Depuis la mort
de Jacobs, la tâche a ¨¦t¨¦ confi¨¦e au dessinateur Ted Benoît de continuer la
tradition. Il nous a expliqu¨¦ que c'¨¦tait passionnant pour lui.
«C'est le fait de faire de la
bande dessin¨¦e au premier degr¨¦, c'est-¨¤-dire vraiment quelque chose d'intense
o¨´ on met le maximum d'¨¦nergie, dans les personnages et dans le dessin, dans
chaque dessin, quoi. On n'est pas en retrait, on ne prend pas de distance. On
ne juge pas ce qu'on fait, quelque
part**. C'est un peu ça oui... Et c'est, bon, ¨¤ part ça, de me faire r¨ºver
et de faire r¨ºver le lecteur. C'est de les emmener quelque
part**. L¨¤ donc, beaucoup dans des paysages, dans des voyages.
J'aime beaucoup toute la partie
voyage dans les bandes dessin¨¦es. Je fais le voyage en m¨ºme temps que les personnages,
oui. Dans Blake et Mortimer, il y en a pas mal, donc, voil¨¤, c'est beaucoup
ça...
D¨¦couvrir des choses qu'on ne
s'attend pas ¨¤ d¨¦couvrir, ¨¤ l'occasion de recherches comme ça, c'est vraiment
passionnant. M¨ºme si c'est pas tr¨¨s important dans l'histoire. C'est des
figurants, mais je veux dire, ça donne une v¨¦rit¨¦, et voil¨¤, ça ouvre les yeux
un peu ¨¤ des gens.»
Mais alors, vous
demanderez-vous peut-¨ºtre, si Jacobs, «le p¨¨re» de la s¨¦rie, n'¨¦tait pas
britannique lui-m¨ºme et si, ¨¤ vrai dire, le public anglais n'a jamais ¨¦t¨¦ tr¨¨s
fan de bandes dessin¨¦es, contrairement au public français qui en raffole,
pourquoi les personnages sont-ils anglais?
«Dans la g¨¦n¨¦ration actuelle, je
ne sais pas si le fait qu'ils soient anglo-saxons a beaucoup d'importance, mais
¨¤ l'¨¦poque, ça en avait beaucoup. Moi, j'avais un grand-p¨¨re qui ¨¦tait
peut-¨ºtre, mais il le cachait bien, d'origine allemande, et qui avait fait la
guerre de 14 du côt¨¦ français, mais peut-¨ºtre que son p¨¨re ou son grand-p¨¨re ¨¦tait
allemand et il avait un nom qui pouvait laisser penser qu'il ¨¦tait peut-¨ºtre
anglais et il jouait ¨¤ l'Anglais. C'est pour ça que je m'appelle Ted, enfin,
c'¨¦tait mon surnom quand j'¨¦tais petit parce que il jouait ¨¤ l'Anglais. Il
avait ce côt¨¦ tr¨¨s anglophile et je pense que dans l'entre deux guerres et
apr¨¨s la guerre de 40, il y avait beaucoup ce côt¨¦ anglophile en Belgique et en
France, il y avait une vraie fascination, c'est vrai. Alors, pour des clich¨¦s,
je veux dire, Jacobs, je crois qu'il connaissait mal l'Angleterre mais c'est
des clich¨¦s typiques, quoi, c'est Agatha Christie, c'est le chapeau melon,
enfin des trucs b¨ºtes. Mais c'est vrai que ça nous fascine, je crois, en France
parce que... ça nous a fascin¨¦ en tout cas, ¨¤ cause de l'esp¨¨ce de rigidit¨¦ de
la tradition anglaise qu'on n'a peut-¨ºtre moins en France... mais je crois que
maintenant... je pense que ça joue
moins***, ça joue moins. C'est un clich¨¦. C'est aussi li¨¦, peut-¨ºtre ¨¤
toute une litt¨¦rature. Quand je parle de litt¨¦rature populaire et de
feuilletons, il y a... Conan Doyle, il y a des choses comme ça. On le sent dans
Jacobs, je trouve, ça colle bien****, il y a Jack l'Éventreur, tout ça, ça colle
bien avec cet univers-l¨¤, oui.»
Jean van Hame
a fait les textes pour «L'Étrange Rendez-vous», Madeleine De Mille, la couleur.
C'est une tr¨¨s grande r¨¦ussite: le num¨¦ro un des ventes de bandes dessin¨¦es en
France. Lors d'un entretien accord¨¦ aux lecteurs, suivi d'une s¨¦ance de
d¨¦dicaces de l'album, Ted Benoît est assailli de questions toutes plus pr¨¦cises
les unes que les autres. C'est un public plutôt masculin et plutôt adulte,
aussi est-il insolite, pour un b¨¦otien, d'entendre des questions sur des points
de d¨¦tails concernant l'histoire, du genre «Comment se fait-il que le colonel
Olrik soit aussi alli¨¦ ¨¤ l'empereur Jaune alors qu'ils s'¨¦taient quitt¨¦s
vraiment fâch¨¦s ¨¤ la fin de tel album ». «Tel personnage se montre plutôt
raciste ¨¤ la page 56 et ça ne lui ressemble pas, comment est-ce justifi¨¦?»
Ted Benoît
fait face, r¨¦solument. La passion du public pour ces d¨¦tails ne le surprend
pas.
«Oui absolument, oui mais ça,
c'est un jeu avec cette s¨¦rie. Mais m¨ºme ¨¤ l'¨¦poque de Jacobs, il avait
toujours des courriers et des questions sur des petites erreurs, des choses que
les gens ne comprenaient pas... 'Mais l¨¤, attention... c'est pas...' Oui.»
Ce dernier
album se situe cette fois en Am¨¦rique. Ce sera donc aux Am¨¦ricains de dire si
la s¨¦rie des clich¨¦s continue. Il y a gros ¨¤ parier que oui. Mais pour cela,
vous devrez les lire en français car les anglo-saxons ne les ont toujours pas
traduits, et, au grand dam de Ted Benoît, rien n'est pr¨¦vu.
«...pas que je
sache***** non... J'aimerais bien, mais...»