Le Mariage
Secret
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Tel est le
climat dramatique du Mariage Secret de Cimarosa, actuellement produit par
l'Op¨¦ra Th¨¦âtre, en association avec l'Orchestre des Pays de Savoie et l'Op¨¦ra
National de Lyon.
On assiste ¨¤
un d¨¦nouement assez ¨¦tonnant qui fait approuver le mariage secret de Carolina,
la fille d'un riche marchand avec un serviteur, Paolino. C'est un scandale! Un
bouleversement que le metteur en sc¨¨ne Andr¨¦ Fornier replace dans son contexte
historique:
«Ce que j'aime bien c'est
l'arri¨¨re-fond un peu social. C'est-¨¤-dire qu'on est en 1791 et dans l'Europe
enti¨¨re, y compris ¨¤ Vienne, on est au courant de la R¨¦volution française. Donc
on entend bien qu'il y a des petits coups de griffe qui sont jet¨¦s ¨¤
l'aristocratie, ça, ça me plaît. On entend aussi le triomphe de la jeunesse
parce que finalement cet ouvrage c'est que des gens qui sont d¨¦pit¨¦s ¨¤ la fin
sauf deux qui ont le courage d'affirmer leur amour contre une soci¨¦t¨¦ qui ne le
voudrait pas, contre un patriarchat qui ne le veut pas et c'est quand m¨ºme ça
que ça raconte. Donc j'ai aim¨¦ dans une p¨¦riode o¨´ on monte beaucoup de
spectacles un peu pessimistes, un peu tristes, un petit peu de fin de monde,
j'ai aim¨¦ cet ouvrage qui tout d'un coup donnait place ¨¤ la libert¨¦, au
courage, ¨¤ la jeunesse.»
C'est le
directeur musical, Mark Foster, chef d'orchestre des Pays de Savoie, qui a
orient¨¦ le choix d'Andr¨¦ Fornier vers l'oeuvre de Cimarosa:
«En fait Marc Foster qui est le
chef d'orchestre, quand on a d¨¦cid¨¦ de faire un projet commun, on a un petit
peu cherch¨¦ les ouvrages qu'on aimait et on est tomb¨¦ ¨¦videmment sur les grands
ouvrages du r¨¦pertoire lyrique, et tr¨¨s vite, il m'a dit, pour une premi¨¨re
exp¨¦rience comme ça avec quand m¨ºme de jeunes chanteurs, on va ni se lancer
dans un Mozart, ni dans Debussy, donc on va faire une chose modeste. Et lui, il
y a quelques ann¨¦es, avant d'¨ºtre chef d'orchestre, il ¨¦tait musicologue et il
a travaill¨¦ sur Cosi Fan Tutte de Mozart et il y a une ressemblance ¨¦tonnante
entre Cosi et le Mariage Secret et il y a une ressemblance ¨¦tonnante entre les
Noces de Figaro et le Mariage Secret. Donc il a fait une grande recherche. Il
s'est aperçu entre autres qu'il y a l¨¤ deux num¨¦ros musicaux qui sont de Mozart
et on les reconnaît tr¨¨s bien parce qu'ils sont beaucoup plus beaux que les
autres, c'est le quintet et le quatuor. Et donc, il m'a dit: 'quand j'¨¦tais
jeune, j'¨¦tais... j'adorais cette musique, et je me suis toujours dit qu'il
faudrait que je la dirige'. Simplement, lui, quand il est appel¨¦ dans les
grands op¨¦ras pour diriger, il dirige Cosi, la Flûte... Il a fait la Flûte en
Autriche ¨¤ Vienne, l'Enl¨¨vement au S¨¦rail, et il ne dirige jamais le Mariage
Secret. Donc il m'a dit 'si ça te plaît, moi j'aimerais faire cet ouvrage'.
Alors je l'ai ¨¦cout¨¦, je l'ai lu, et ce qui m'a plu ¨¤ prime abord, c'est le
livret. J'ai trouv¨¦ le livret tr¨¨s int¨¦ressant, tr¨¨s Goldoni, tr¨¨s Marivaux, et
puis en second lieu la musique parce que c'est une charni¨¨re entre Mozart, on
entend un peu les Noces et puis surtout c'est... on entend Rossini. Et c'est
1791, donc Mozart ¨¦tait mort mais Rossini ¨¦tait pas encore n¨¦. Donc on sent que
Cimarosa est quelqu'un, certes, qui a un petit peu copi¨¦, il faut ¨ºtre franc,
Mozart; il a m¨ºme emprunter deux airs, mais ça se faisait beaucoup ¨¤
l'¨¦poque... Donc entre le beau livret et la musique, et puis le fait de savoir
que un chef qui aime un ouvrage le dirige bien, j'ai dit oui. Et puis voil¨¤, on
est l¨¤ avec le Mariage Secret.»
En regardant
cette production du Mariage Secret on a l'impression de voir un spectacle somme toute* assez moderne,
avec des actions qui succ¨¨dent rapidement les unes aux autres. Andr¨¦ Fornier
explique que cet effet est voulu pour rendre l'oeuvre accessible au public
contemporain:
«Pour ¨ºtre franc, je crois que ce
qui fait moderne, c'est notre d¨¦coupage, parce que avec Marc, on a ¨¦norm¨¦ment
coup¨¦, notamment des r¨¦citatifs et il y a des ellipses qui font un peu cin¨¦ma
et qui sont pas de Cimarosa parce que l'ouvrage durait beaucoup plus longtemps
¨¤ l'origine. Mais je crois que le temps a chang¨¦. Les gens aujourd'hui sont
moins patients. Le temps est pas le m¨ºme... On a envie que ça aille vite, ¨¤
tort ou ¨¤ raison. En tous les cas, l'ouvrage tel qu'il est ¨¦crit me semblait
trop bavard, trop r¨¦p¨¦titif. Donc on a ¨¦t¨¦ assez t¨¦m¨¦raires dans les coupes.
J'ai beaucoup beaucoup coup¨¦ de r¨¦citatifs, c'¨¦tait un peu ma partie. Lui a
¨¦norm¨¦ment coup¨¦ d'airs, des airs entiers, des morceaux de final pour arriver ¨¤
une chose qui donne effectivement une forme un peu moderne mais qui n'¨¦tait pas
l¨¤ ¨¤ l'origine. On fait des sauts, comme ça, qui n'existent pas. En g¨¦n¨¦ral, il
y a la forme de l'op¨¦ra bouffe, c'est l'air, le r¨¦citatif, le final, l'air de
bravoure, le duo, le trio, le final. C'est extr¨ºmement m¨¦canis¨¦.»
A St¨¦phanie
Loris revient le rôle d'Elisetta, la soeur aîn¨¦e de Carolina, qui, elle, r¨ºve
depuis sa plus tendre enfance d'¨¦pouser un noble. Les deux soeurs forment un
beau contraste. Carolina a, si l'on peut dire, le beau rôle**. Mais le
personnage d'Elisetta est tr¨¨s attachant aussi. St¨¦phanie Loris:
«L'int¨¦r¨ºt c'est que on pouvait montrer
plein de facettes de ce personnage qui, a priori, a l'air un peu peste comme ça
mais en fait elle est peste parce qu'il lui arrive beaucoup de choses tristes
qu'elle avait pas pr¨¦vues. On la pr¨¦pare, on l'a ¨¦lev¨¦e toute sa vie pour
qu'elle soit comtesse, enfin qu'elle fasse un beau mariage et quand le comte
arrive, il la d¨¦laisse et il tombe amoureux de sa soeur et pour elle le monde
s'¨¦croule parce que sa vie enti¨¨re a ¨¦t¨¦ r¨¦gl¨¦e pour qu'elle soit comtesse.
«Et ce personnage il me touche
parce que, elle est peste, mais je voulais montrer qu'¨¤ certains moments elle
est tr¨¨s tr¨¨s triste. Et je voulais toucher les gens pour leur montrer que si
elle devient peste, c'est d'abord, elle est peste parce que entre deux soeurs
on se chamaille... Moi j'ai une petite soeur et je me suis beaucoup chamaill¨¦e
quand j'¨¦tais petite, donc, ce qu'on peut voir de l'ext¨¦rieur, c'est pas
forc¨¦ment la r¨¦alit¨¦ des sentiments. Et puis aussi il y a un moment o¨´ elle est
vraiment humili¨¦e. Tout au long de l'op¨¦ra, elle prend quand m¨ºme beaucoup de
claques, et je voulais montrer qu'elle avait de quoi ¨ºtre r¨¦volt¨¦e et un peu
hargneuse.
«Avec Andr¨¦, c'est super parce
qu'on a beaucoup d'espace de libert¨¦, on peut proposer beaucoup de choses, et
c'est quelqu'un de tr¨¨s ouvert. Il a bien sûr son id¨¦e, c'est normal, sinon on
pourrait pas travailler en un temps limit¨¦. Mais quand il y a quelque chose qui
nous tient ¨¤ coeur avec un personnage, on peut lui en parler. Il ¨¦coute et il
est ouvert et tr¨¨s souvent il... enfin quand ça lui plaît pas il le dit mais
souvent il adopte des choses aussi et pour ça c'est vraiment tr¨¨s agr¨¦able de
travailler avec lui.»
De pouvoir
chanter et jouer n'est pas donn¨¦ ¨¤ tout le monde...
« C'est le propre de l'op¨¦ra
justement, on joue la com¨¦die, on chante. Il faut que ce soit complet sinon il
manque une b¨¦quille au spectacle et le public le sent...
Ce que je vois moi des op¨¦ras,
c'est qu'on nous demande de jouer comme des acteurs tout en sachant qu'on a
quand m¨ºme une contrainte qui est la musique, qui cr¨¦e une contrainte de temps.
Donc on n'a pas une grande libert¨¦ de temps pour exprimer certaines choses.
Mais ¨¤ l'int¨¦rieur de cette contrainte, on peut avoir une libert¨¦, et ça c'est
aussi la pr¨¦paration, si on est tr¨¨s bien pr¨¦par¨¦, si on a le rôle tr¨¨s bien int¨¦gr¨¦
et la musique tr¨¨s bien en t¨ºte, on sait ¨¤ quel moment on peut ... avoir cette
part de libert¨¦. La difficult¨¦ ¨¤ l'op¨¦ra, c'est ça, c'est la contrainte de
temps qui est li¨¦e ¨¤ la musique, par rapport au th¨¦âtre o¨´ on n'a pas ce
probl¨¨me.»
Et c'¨¦tait justement
le projet d'int¨¦grer les points fort du th¨¦âtre - le jeu, la mise en sc¨¨ne - ¨¤
l'op¨¦ra qui a motiv¨¦ Andr¨¦ Fornier pour cr¨¦er l'Op¨¦ra Th¨¦âtre il y a huit ans:
«Le moteur, c'est que quand j'ai
d¨¦cid¨¦ de faire de l'op¨¦ra, j'ai fait un Carmen ¨¤ Annecy qui s'est relativement
bien pass¨¦ mais o¨´ j'avais un peu l'impression d'¨ºtre l'agent de la
circulation, c'est-¨¤-dire qu'on ne me demandait rien, c'¨¦tait un chef beaucoup
moins ouvert que l'est Marc Foster, c'¨¦tait un Japonais, et je me suis retrouv¨¦
un petit peu ¨¤ r¨¦gler les d¨¦placements des corps, ¨¤ faire sans les solistes qui
¨¦taient toujours malades ou qui se faisaient porter malades et qui m'envoyaient
leurs doublures, et je me suis dit, bon, si je fais de l'op¨¦ra dans les
conditions que je veux, il faut pas que je passe par la voie royale de l'op¨¦ra.
Donc, il faut trouver une forme th¨¦âtralis¨¦e de l'op¨¦ra et on a eu l'id¨¦e de
cr¨¦er ces petis formats lyriques qui ¨¦taient beaucoup plus l¨¦gers o¨´ il y avait
pas de chef... donc une logique de musique de chambre, et o¨´ r¨¦gnait l'op¨¦ra,
bien sûr puisque c'¨¦taient des chanteurs mais aussi surtout le th¨¦âtre. Et puis
au bout de cinq, six ans de ça je me suis lass¨¦ de ces formes, je les trouvais
peut-¨ºtre pas aussi justes que je pensais, j'avais tr¨¨s envie de faire une
grande forme, parce que l'orchestre, c'est magnifique... Mais il fallait que je
trouve un chef d'orchestre qui veuille aller dans notre logique, dans notre
esth¨¦tique, et Marc qui avait vu le Barbier de S¨¦ville, tout de suite a dit 'il
faut qu'on fasse un truc ensemble'. On savait pas quoi, et lui il a dit 'moi,
je ferai pas le chef emmerdant et autoritaire, je travaillerai avec toi'. Ce
qu'on a effectivement fait. C'est vraiment un projet ¨¤ deux. C'est-¨¤-dire que
les tempi, il me les a soumis, mes intentions sc¨¦niques, je lui ai soumis. On a
discut¨¦. Des fois on n'¨¦tait pas d'accord. Et ¨¤ la fin des fins, je crois que
le spectacle, il est ce qu'il est, mais en tous les cas, c'est certainement une
des raret¨¦s dans l'op¨¦ra, c'est que l'ouvrage est port¨¦ par le chef d'orchestre
et le metteur en sc¨¨ne. Il y a personne qui gagne, il y a personne qui perd.
Donc je crois que c'est ça qui fait l'Op¨¦ra Th¨¦âtre, quoi. Alors apr¨¨s... les
chanteurs viennent pas du th¨¦âtre. Ce sont des chanteurs d'op¨¦ra, donc ils ont
leur logique. Ils ont leur esth¨¦tique. Ils ont leurs priorit¨¦s qui sont avant
tout vocales et musicales, et moi je fais avec... Donc l¨¤ j'ai trouv¨¦ des gens
tr¨¨s ¨¤ l'¨¦coute du th¨¦âtre mais je suis pas dupe; ça reste des chanteurs
d'op¨¦ra, c'est pas du th¨¦âtre. Mais j'aime cet artifice de toutes façons. Moi
je trouve que c'est peut-¨ºtre en ça que j'ai chang¨¦ depuis cinq, six ans. Je
crois que l'op¨¦ra est fascinant quand il est sur l'artifice, sur une sorte de
sinc¨¦rit¨¦ mais artificielle. Enfin c'est un peu comme ça que j'ai voulu traiter
l'ouvrage.
On vit une belle p¨¦riode parce que
je trouve que ça bouge beaucoup. Je m'aperçois quand m¨ºme qu'il y a du chemin
de fait, c'est-¨¤-dire qu'on n'est plus dans... ça remet en cause aussi un petit
peu la compagnie, parce que il y a six ans, on avait affaire ¨¤ des grands
ouvrages souvent assez mal jou¨¦s par des distributions un peu vieillissantes,
etc. et l¨¤, depuis cinq ans, on peut plus dire ça. J'ai relu des vieux textes
d'il y a cinq ans, ça n'a plus raison d'¨ºtre. Maintenant on a des nouveaux...
je sais pas, je pense ¨¤ Nathalie Dessay parce que c'est la plus connue, on a
des chanteuses comme Nathalie qui joue comme une actrice, qui... Donc les
choses ont boug¨¦. Et je trouve qu'en ce moment, c'est pas d'ailleurs que
français parce que l'op¨¦ra c'est international, c'est-¨¤-dire que si ça bouge
quelque part, ça bouge partout en m¨ºme temps. Je trouve que vraiment il y a un
accent port¨¦ sur le jeu, ce qui ¨¦tait pas le cas, il y a six, sept ans. Donc,
c'est pour ça que nous, on est en train de vivre une mutation, parce qu'on va
pas continuer ¨¤ raconter nos histoires alors que ça a plus lieu d'¨ºtre. Je
trouve que ces textes ont vieilli maintenant quand on voit, je sais pas, moi
j'ai vu l'Ariana Naxos ¨¤ l'op¨¦ra il y a quatre jours, ça joue ¨¦norm¨¦ment, ça
joue m¨ºme beaucoup beaucoup. Donc, on peut plus dire 'nous, on va vous montrer
comment ça joue ¨¤ l'op¨¦ra', puisque ça se fait d¨¦j¨¤. Donc, il faut trouver un
angle qui raconte autre chose.
Ici ça raconte le collectif, ça
c'est ind¨¦niable, c'est un ouvrage de troupe et les chanteurs d¨¦fendent la
troupe, ils d¨¦fendent pas leur gueule, comme ¨¤ l'op¨¦ra souvent. Mais l'ouvrage
le r¨¦clame, hein, c'est six solistes tr¨¨s bien distribu¨¦s et ... voil¨¤...»
Un esprit
collectif? St¨¦phanie est cent pour cent d'accord. Mais elle pr¨¦f¨¨re l'image
d'une famille, avec Romano Franceschetto, un basse bouffe qui joue le rôle du
riche marchand, p¨¨re de Carolina et d'Elisetta dans le spectacle, dans le rôle
de... la m¨¨re de famille.
« Alors on s'est tr¨¨s bien entendu
parce que dans l'ensemble on est tous une ¨¦quipe de jeunes. Romano est un petit
peu plus âg¨¦ que nous mais c'¨¦tait notre bon papa, il ¨¦tait tr¨¨s maternel avec
nous. Il ¨¦tait vraiment super. Je connaissais quelques chanteurs d¨¦j¨¤ et avec les
autres il y a pas eu de probl¨¨mes.
C'est des rencontres entre gens.
On s'est rencontr¨¦s, on s'est bien aim¨¦s, on s'est appr¨¦ci¨¦s et puis j'esp¨¨re
que ça se sent dans le spectacle qu'on est tous soud¨¦s. C'¨¦tait tr¨¨s agr¨¦able
de travailler avec tout le monde, toute cette ¨¦quipe.»