Les
¨¦lections pr¨¦sidentielles 2002
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Jacques Chirac a ¨¦t¨¦ r¨¦¨¦lu Pr¨¦sident de la R¨¦publique
Française le 5 mai 2002. Il a recueilli autour de 80 pour cent des votes
exprim¨¦s. C'est une belle r¨¦ussite pour ce politicien-n¨¦.
Jacques Chirac
a ¨¦t¨¦ ¨¦lu d¨¦put¨¦ pour la premi¨¨re fois en 1967, et n'est jamais rest¨¦ sans
mandat depuis. Sa r¨¦putation est entach¨¦e par «les affaires», il est vrai. On
l'accuse d'avoir touch¨¦ des
pots de vins* pour financer son parti politique, le RPR et pour mener une
vie priv¨¦e luxueuse. Mais, apr¨¨s cette seconde victoire aux pr¨¦sidentielles,
personne ne peut plus nier son talent pour le jeu ¨¦lectoral. On a attribu¨¦ ces
pr¨¦c¨¦dentes victoires a un comportement personnel chaleureux et tr¨¨s attirant
pour les ¨¦lecteurs. Cette fois-ci on a assist¨¦ ¨¤ une magistrale leçon de
machiav¨¦lisme - surtout par la facilit¨¦ avec laquelle il a manœuvr¨¦ pour mettre
ses opposants sur la d¨¦fensive.
Toutefois,
malgr¨¦ la victoire de Jacques Chirac, c'est la perc¨¦e inattendue de Jean Marie
Le Pen qui restera dans les m¨¦moires en ce qui concerne ces ¨¦lections. Le chef
du Front National, parti d'extr¨ºme droite, a ¨¦limin¨¦ le premier ministre Lionel
Jospin au premier tour de scrutin. Les commentateurs sont unanimes, affirmant
que le succ¨¨s de Le Pen, aussi bien d'ailleurs que la r¨¦ussite des partis
trotskistes de l'extr¨ºme gauche, prouve avant tout un grand malaise au sein de
la classe politique.
Nous avons demand¨¦ ¨¤ Jean-François T¨¦tu, professeur de
science politique ¨¤ l'Institut d'Études Politiques de Lyon, son analyse de la situation.
Voici quelle est sa r¨¦ponse:
«Je suis absolument convaincu pour
ma part que, dans l'ensemble de l'univers politique, enfin en tout cas de la
classe politique institu¨¦e, install¨¦e, il y a un r¨¦el divorce entre les
aspirations, les propos, les th¨¨mes, etc. et ceux de la population. C'est vrai
que le succ¨¨s de Jean-Marie Le Pen est en partie li¨¦ ¨¤ ce qui est un leitmotiv
chez lui, ¨¤ savoir 'Je dis ce que tout le monde pense', 'Je vis ce que tout le
monde vit'. Donc il est perçu comme ¨¦tant indiscutablement plus proche,
... Arlette Laguiller au Cr¨¦dit Lyonnais, le petit facteur Besancenot, etc., y
compris, parce que c'est du m¨ºme ordre, la pr¨¦occupation ¨¦cologique qui est de
plus en plus pr¨¦sente dans la vie quotidienne de la population. Donc, in¨¦vitablement,
on a d'une part un accroissement du rejet de cette classe politique qui semble
totalement ¨¦loign¨¦e des pr¨¦occupations des gens et la sur¨¦valuation... ou, en
tout cas, la... oui... quelque chose comme une sorte de prime donn¨¦e ¨¤ ceux qui
sont plus proches de la population.»
Et ¨¤ quoi
convient-il d'attribuer cette distance entre la classe politique et la
population?
«En France, il y a une chose que
je... qu'on peut voir, d'abord, c'est l'âge, hein... l'âge des candidats. Les
Français viennent de voter pour quelqu'un qui a soixante-dix ans et quelqu'un
qui a soixante-treize; ça pose un vrai probl¨¨me, ça fait des ann¨¦es et des
ann¨¦es qu'on n'a pas vu de chef de gouvernement jeune. Donc, ça, c'est un
indicateur. Je veux dire que, ¨¤ coup sûr il faudrait un renouvellement tr¨¨s
important de la classe politique. Alors il y a un certain nombre de moyens d'y
participer: par exemple, on doit aussi mettre au bilan de ce dernier
gouvernement la limitation du cumul des mandats, qui, je pense, est, en France,
une des raisons qui limitent le renouvellement de la classe politique. A
supposer par exemple, que comme... qu'¨¤ l'instar d'autres pays, on exclue la
compatibilit¨¦ entre des fonctions locales et des fonctions nationales, on
verrait aussitôt apparaître une tout autre... on verrait se renouveler la
classe politique de façon tr¨¨s nette.»
«Une autre analyse que l'on peut faire tiendrait au syst¨¨me de la cinqui¨¨me
R¨¦publique qui, en limitant de façon beaucoup plus importante le rôle du
parlement qu'il ne l'¨¦tait sous la quatri¨¨me, limite du m¨ºme coup le relais
aupr¨¨s du gouvernement des aspirations des ¨¦lecteurs relay¨¦s par leurs d¨¦put¨¦s.
Bon, ça c'est un trait structurel de notre constitution.»
Et c'est vrai
que le rejet du premier ministre sortant est devenu la r¨¨gle du jeu du syst¨¨me
politique français:
«D'abord, j'observe que tous les
premiers ministres de la cohabitation se sont fait battre aux ¨¦lections
suivantes. Ce fut vrai de Chirac en 88, ce fut vrai de Balladur, c'est vrai
aujourd'hui de Lionel Jospin. Ensuite j'observe que depuis 1981, toutes les
majorit¨¦s sortantes se sont fait battre aux ¨¦lections, il y a donc l¨¤ une sorte
de r¨¦gularit¨¦ constante... Alors, l¨¤, je crois aussi que les... bon,
qu'il faut pas confondre deux choses. Il y a une sorte de constante politique
qui est... qui vient d'un m¨¦contentement g¨¦n¨¦ral de la population, qu'on peut
expliquer de diff¨¦rentes façons, hein. Les journaux financiers anglo-saxons
disaient ces jours-ci que les Français manifestaient par l¨¤ le fait qu'ils
n'¨¦taient pas d'accord avec les r¨¨gles du march¨¦ qui se d¨¦finissent ¨¤ Bruxelles
et pas ¨¤ l'¨¦chelle de la nation, d'o¨´ un vote protestataire largement
anti-europ¨¦en. Peut-¨ºtre... c'est une composante ¨¤ prendre. Ce que je vois,
c'est qu'il y a effectivement une mont¨¦e forte, mais dans toute l'Europe, de
gens qui sont insatisfaits. Premier point. Deuxi¨¨me point il n'y a pas eu grand
chose, si j'en juge par les m¨¦dias, il n'y a pas eu grand chose dans les m¨¦dias
en g¨¦n¨¦ral, qui manifeste une attention forte des principaux candidats ¨¤
l'¨¦gard de ce qui est tout de m¨ºme une v¨¦ritable d¨¦tresse d'une partie de la
population, que l'accent mis sur la s¨¦curit¨¦ est dramatisant, certes, et les
m¨¦dias l'ont abondamment relay¨¦. Je pense que ce th¨¨me est moins important que
le chômage, que l'absence d'espoir pour une partie de la population.»
Les gens ont
aussi trop cru aux sondages qui donnaient comme certain un combat Chirac/
Jospin au deuxi¨¨me tour. Ils se sont donn¨¦s alors la libert¨¦ de voter pour des
candidats protestataires, pas pour qu'ils gagnent, mais pour donner un signe
aux grands. Et beaucoup n'ont pas vot¨¦ du tout.
Si les
sondeurs ont sous-estim¨¦ la mont¨¦e du Front National, le professeur T¨¦tu
constate qu'ils avaient ¨¤ faire face ¨¤ de vraies difficult¨¦s:
«Le v¨¦ritable probl¨¨me
qu'¨¦prouvent tous les instituts de sondage, c'est le fait que les Français
n'osent pas dire qu'ils votent Front National, comme si au fond, il y avait une
v¨¦ritable ill¨¦gitimit¨¦ perçue par ceux-l¨¤ m¨ºme qui votent Front National.»
C'est donc
apr¨¨s les ¨¦lections l¨¦gislatives au mois de juin qu'on connaîtra le vrai
paysage politique de la France . Et cette fois personne ne pourra plus
pr¨¦tendre voter dans l'ignorance et l'incons¨¦quence...