Le sécurité routière |
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«Ce n'est pas qu'une
spécificité française, mais quand même, on se distingue en particulier des pays
anglo-saxons : la Grande Bretagne fait moins de 4 000 morts par an alors que
nous, nous en sommes à plus du double, l'Allemagne, qui a un parc automobile
supérieur au nôtre, qui a un réseau routier sensiblement équivalent au nôtre, a
moins d'accidents mortels que nous, même l'Italie, dont on dit souvent que les
Italiens roulent un petit peu n'importe comment… les Italiens font mieux. Les
Espagnols font mieux. Alors, qu'est-ce qui fait plus mal que nous en Europe ?
Eh bien le Portugal et la Grèce. Je ne sais pas si c'est glorieux, en tout cas,
nous France, nous sommes dans les très mauvais élèves de la classe européenne.
Nous sommes très mauvais. Alors, pourquoi ? Parce que le Français a un
comportement latin, peut-être, mais très individualiste et se conduit sur la
route à peu près n'importe comment.»
Les statistiques le montrent, la France
n'a pas à être fière de son bilan sur la sécurité routière. Des
gouvernements successifs ont essayé de faire baisser le taux de mortalité
terriblement élevé, sans grande réussite.
Fraîchement réélu, le
président de la France, Jacques Chirac, a donné l'ordre à son gouvernement de
mettre cette question en tête des priorités. Ces dernières semaines le
ministre des transport Gilles de Robien a annoncé ses propositions. Va-t-il
avoir plus de réussite que ses prédécesseurs? Voici l'analyse de Gérard
Tournoux, directeur régional de l'association indépendante, la Prévention
Routière.
«Je pense, sans faire de polémique, que
l'ancien ministre des transports, qui a précédé monsieur de Robien
actuellement, donc qui était monsieur Gayssot avait été quand même très
imprudent lorsqu'il avait déclaré, au moment de sa prise de fonction, qu'il
comptait en cinq ans faire diminuer de moitié la sinistralité, donc faire
passer de 8000 à 4 000 morts. C'était très imprudent parce que les Anglais, qui
nous ont précédés depuis une trentaine d'années, ont réussi la performance de
diviser par deux en trente ans, voilà. On voit pas pourquoi la France, qui est
déjà très mauvaise, aurait pu réussir ce prodige. Donc, au-delà de l'effet
d'annonce, c'était quand même très imprudent quand on connaît, encore une fois,
le comportement des Français. Depuis quelques années, nous sommes toujours à 8
000 morts par an, et puis en 2002 nous ne connaissons pas encore le bilan, mais
il est vraisemblable que ce bilan, sans trop me tromper, je peux vous dire
qu'il sera aussi de près de 8 000 morts, 8 000 morts et encore une fois, on
dira 'la France… vraiment !'
«Alors, le gouvernement actuel a pris des
décisions énergiques dans lesquelles nous croyons, lors du dernier comité
interministériel de sécurité routière qui s'est tenu à Paris le 18 décembre. Il
y avait des mesures que nous réclamions déjà depuis un certain nombre d'années.
Alors le gouvernement semble nous suivre, tant mieux ! Nous sommes ravis.
«Alors, parmi les mesures intelligentes,
si je peux me permettre, intelligentes, entre guillemets*
bien sûr, la décision de rendre probatoire le permis de conduire. Actuellement,
vous avez votre permis à 18 ans et vous l'avez à vie, si on ne vous l'a pas
retiré pour fautes successives graves. Eh bien c'est fini. Maintenant, on va
dire aux jeunes qui veulent passer leur permis: ' votre permis vous l'avez, oui,
mais attendez ! D'abord, il n'a que la moitié des points, il n'a que six
points, et vous avez trois ans pour faire vos preuves, donc si chaque année qui
va passer dans les trois ans, vous conduisez bien, vous aurez deux points de
plus, ce qui fera qu'au bout de trois ans vous aurez votre vrai permis avec
douze points. Mais sachez que, aussi, si vous commettez des fautes, les points
vous serons retirés comme aux autres, et donc avec seulement six points, votre
permis risque d'être très rapidement caduc. Et alors là il faudra attendre les
six mois pour le repasser, avec toutes les difficultés que l'on connaît par la
suite. Donc c'est une mise en garde sévère. Alors, pourquoi nous, nous nous
réjouissons de cette mesure de rendre ce caractère probatoire ? Eh bien parce
que les Etats-Unis l'avaient fait avant nous, parce que les Canadiens, parce
que les Suisses, parce que les Belges, parce que bon, tout le monde l'avait
fait sauf nous, alors on se dit 'pourquoi, nous, on ne ferait pas la même
chose ?' Alors, ça, c'est déjà une bonne chose, et d'autre part parce que, chez
nous en France, les 18-25 ans sont ceux qui sont le plus concernés par le
phénomène routier, je veux dire, la mortalité… Quand on sait qu'ils ne
représentent que 13% de la population, mais qu'ils représentent 30% des morts,
il y a quand même quelque chose qui est anormal. Alors nous, nous nous
réjouissons que cette décision de rendre probatoire le permis de conduire ait
été enfin prise et nous attendons bien sûr la mise en application. Voilà, parmi
les mesures un peu symboliques, celles qui nous semblent très intéressantes.
Alors au-delà d'autres mesures, par exemple l'alcool.
«Le gouvernement a décidé de sanctionner fermement sans baisser le taux légal,
hein. Le taux légal en France, qui n'est pas le même qu'en Angleterre, ou dans
d'autres pays européens, le taux légal en France est de 0,5, donc 0,5 grammes
par litre de sang. Nous sommes sanctionnés à partir de 0,5 grammes. Ce taux n'a
pas été abaissé. Bien ! Alors que les pays nordiques, eux, sont à 0,3, mais la
France a dit 'on reste à 0,5'. Mais, à partir de 0,5 grammes, vous ne perdrez
plus que 3 points, vous perdrez désormais 6 points sur votre permis, donc la
moitié de votre permis sautera à partir d'une alcoolémie de 0,5. Et quand on
sait que pour un homme, 0,5 c'est à peine deux verres d'alcool, et pour une
femme un peu plus d'un verre, bon, peut-être que les jeunes vont prendre
conscience de ce phénomène-là, parce que ils n'ont qu'un permis à six points,
donc s'ils se permettent de boire comme on connaît les phénomènes en fin de
semaine, en boîtes de nuit, s'il se permettent de boire et qu'ils se font
contrôler, même sans avoir causé d'accident, s'il se font contrôler avec une
alcoolémie positive supérieure à 0,5, ils n'ont plus de permis. Peut-être que
ça, ça va les faire un peu réfléchir, puisqu'ils ne comprennent que ça.
«Oui, les statistiques, là, sont assez précises. En France, près de la moitié
des accidents mortels sont dus à l'excès de vitesse, ou à une vitesse non
appropriée, donc le phénomène, le facteur aggravant numéro 1 c'est bien sûr la
vitesse, 50%, la moitié des accidents sont dus à l'excès de vitesse, et puis
juste derrière, à plus de 30% arrive le phénomène alcool. Alors évidemment,
nous, nous sommes un pays de tradition où l'alcool fait partie du plaisir, où
l'alcool fait partie du savoir-vivre, où l'alcool… une longue culture française
avec l'alcool. C'est difficile de bannir ça d'un seul coup en disant 'il n'y a
plus d'alcool'. Vous pensez bien d'abord que les alcooliques ne seraient pas
d'accord, mais ensuite cela aussi procède de la joie de vivre… Mais, les
anglo-saxons, quand ils boivent, eh bien, ils restent au pub, ils se font
ramener en taxi. En France on reprend son véhicule, c'est là que ça ne va pas.
Donc, l'alcool*, c'est une bonne chose parce
que c'est vrai que plus d'un tiers des accidents sont dus -des accidents
mortels s'entend*- sont dus à l'alcool, à une
consommation excessive d'alcool bien entendu.
«Alors, là, bon, sur le principe d'un contrôle à partir de 75 ans, nous sommes
très en retard par rapport à d'autres pays européens, mais enfin, on a décidé
que ça serait 75 ans. Bon, eh bien soit ! On en prend acte*
donc avec visites d'aptitude obligatoires à partir de 75 ans renouvelables tous
les deux ans. Bon ! Nous, nous aurions aimé que ça aille un peu plus loin. Par
exemple, nous avons préconisé une visite ophtalmologique, pour le yeux, parce
que la quasi-totalité des gestes nécessaires pour conduire dépendent de la vue,
donc au moins, qu'on ait une bonne vue. Et puis il faut savoir que la
quasi-totalité des Français ignorent qu'ils ont une mauvaise vue. Donc, il
aurait fallu une visite au moins ophtalmologique préventive. On avait suggéré
l'âge de 50ans. Que ça soit systématique, bon, à 50 ans, eh bien voilà, vous
allez passer une visite des yeux et puis on vous dit oui, non, etc., ça n'a pas
été retenu. Tant pis ! Mais, on espère que les gens ont assez de sagesse, quand
ils commencent à avoir des difficultés à lire ou à accommoder*
pour aller voir eux-mêmes leur médecin. Donc ça n'a pas de caractère
contraignant sauf à partir de 75 ans. C'est déjà un premier pas, quand on
considère que c'est vrai que le risque de l'accidentologie augmente sur les
personnes âgées, c'est-à-dire à partir de 75 ans. C'est vrai. C'est déjà une
première chose. C'est une bonne chose. Bon, le gouvernement laisse entendre
aussi que les médecins du travail, quand vous êtes salarié, vous passez une
visite médicale obligatoire, annuelle, auprès des médecins du travail. On
espère que les médecins du travail seront sensibles à ce phénomène, par
exemple, de vue, qu'ils sont chargés de contrôler, ou d'état général. Voilà !
On reste un peu en dedans, mais… c'est déjà un progrès.
«Il reste quand même que nous ne sommes
pas encore tout à fait satisfaits. Bien sûr, on va laisser agir et on verra au
résultat, simplement, on aurait aimé que dans les mesures qui ont été décidées
le 18 décembre, on parle un peu plus de l'éducation routière dans les
établissements scolaires, parce que, par exemple, en comparaison avec les pays
hollandais, des pays… pays allemand, nous sommes très en retard. Dans un cursus
scolaire, un enfant -je dis cursus scolaire de la maternelle jusqu'à
l'université- un élève français a deux heures, trois heures, quatre heures au
mieux d'éducation routière, alors qu'il y a trente heures par mois en
Allemagne. C'est quand même pas normal. Dans toute une scolarité, trois à
quatre heures.
«Alors, nous nous pensons que les efforts que nous déployons en milieu scolaire
devraient être intensifiés. Alors, bien sûr le gouvernement a dit qu'il
sensibiliserait le ministre chargé de l'éducation pour que cette éducation soit
inscrite… mais elle l'est déjà depuis 1957, et il reste que c'est laissé à
l'appréciation des maîtres. Donc, s'il n'y a pas derrière une autorité et une volonté
politique de la part du rectorat, de l'inspection de l'académie, d'inscrire
réellement dans les programmes l'éducation routière, eh bien on continuera à
errer comme on le fait actuellement deux, trois heures dans toute une vie,
entre cinq ans et vingt ans, ce qui est notoirement insuffisant. Donc, on
aimerait que le gouvernement soit un peu plus ferme, un peu plus décidé
là-dessus. Autre petit problème, c'est celui de la création d'une police dédiée
à la route. Moi j'ai vu il y a… la semaine dernière un reportage à nouveau sur
ce qui se passe au pays de Galle, en Angleterre, où il y a des polices, des
policiers qui sont dédiés à la circulation, donc qui connaissent le phénomène
routier, qui mesurent la gravité de l'infraction et qui réagissent avec beaucoup
de fermeté. D'ailleurs, le système britannique, je ne sais pas s'il faut
souhaiter l'appliquer mais enfin il y a quand même des résultats. Et quand on
voit que les amendes des contraventions servent à payer de nouvelles caméras de
surveillance et de nouveau moyens, notamment automobiles, pour gérer les
situations conflictuelles, mais pourquoi pas l'appliquer en France ? Bien sûr
c'est un système pervers : plus on paye d'amendes et plus il y aura de caméras,
donc plus on paiera à nouveau d'amendes, mais peut-être que c'est le début de
la sagesse puisqu'il semblerait que l'automobiliste ne prenne en compte que le
phénomène sanction, et toute idée de prévention, de précaution, de bon sens
finalement, semble lui échapper, ça c'est quand même très anormal. Alors, nous
avons demandé qu'il y ait une police, un peu comme font les Anglais, les
Allemands, dédiée à la route, dont ce soit la spécificité. Bon, il y a des
petits problèmes avec les syndicats de police, mais on peut penser que on
trouvera une solution dans quelques mois. Et enfin il y a une mesure, alors là
qui est peut-être symptomatique : le gouvernement a décidé de sanctionner
l'usage du téléphone au volant avec un certain nombre de points sur le permis,
et on regrette nous une chose, c'est qu'il n'ait pas été assez loin. On le lui
a dit : on aurait voulu que le téléphone soit totalement prohibé, même le
système mains libres, qui entraîne une perte d'attention préjudiciable, etc.,
etc., donc il n'est pas allé assez loin mais peut-être que, en lui suggérant à
nouveau, il nous entendra.
La Prévention
Routière travaille surtout à l'éducation des jeunes.
«La Prévention Routière est une
association de type loi 1901, donc à caractère privé qui a été créée en 1949 au
moment où le phénomène automobile en France prenait de l'extension. Et donc
c'est à l'initiative des sociétés d'assurance, donc de la fédération française
des sociétés d'assurance de l'époque que l'on doit la création de la Prévention
Routière puisqu'on a admis à un certain moment qu'il fallait prendre des
précautions sinon le phénomène automobile et sa sinistralité allait prendre des
proportions importantes, d'où la nécessité de mettre en place, auprès des
départements, des comités départementaux qui seraient chargés de faire de la
prévention.
«En 1955, donc six années après, cette association de type loi 1901 a été
reconnue d'utilité publique par l'État, ce qui nous confère une certaine
légitimité. Alors actuellement, la Prévention Routière est constituée de façon
pyramidale. Il y a un siège social à Paris, qui est dans le huitième
arrondissement, et puis dans chacun des départements de France métropolitaine
et d'outre-mer. Il y a, au siège du chef-lieu de chaque département un comité
départemental. Dans ce comité départemental, il y a un président qui est
désigné par le siège social à Paris, il y a un directeur, il y a une ou deux
secrétaires, et un certain nombre de délégués totalement bénévoles, qui aident
le directeur dans les différentes actions qu'il est amené à conduire au niveau
du département.
«Alors, les actions principales touchent essentiellement l'éducation, la
formation, la sensibilisation. Notre cible vraie, initiale, mais qui est
toujours d'actualité parce que nous sommes les seuls à le faire, ou à peu près,
ce sont les enfants des écoles. Donc, notre cible, ce sont les enfants, le plus
tôt possible dès la maternelle jusque à la fin du primaire, 10-11 ans, avant
qu'ils entrent en collèges, dans le secondaire. C'est notre cible. Pourquoi ?
Parce que nous pensons que les enfants, d'abord sont très réceptifs, retiennent
bien, ne contestent pas le message de l'autorité - c'est souvent le message
d'un gendarme, d'un policier- et donc sont d'excellents relais près de leurs
parents pour faire appliquer, à l'intérieur du véhicule par exemple, les règles
de port de ceinture de sécurité, de non téléphone au volant, etc.
«Eh bien écoutez, moi, j'ai vu les décisions gouvernementales, je les ai lues
avec attention. Bien sûr il faudra attendre les délais des décrets
d'application. Hein, il faudra attendre que ça soit voté au parlement au
printemps et puis que les décrets d'application sortent, donc on pense que
certaines mesures verront le jour en 2003 et puis que la grande majorité verra…
en 2004 parce qu'il y a des problèmes en liaison avec la justice, avec les
magistrats. C'est un peu différent. Le système français, il faut que ça passe
devant des juridictions et la justice prend son temps pour une bonne
administration de la justice, bien entendu. Bon, ça demande déjà des
ajustements, des mises au point mais il y a une volonté derrière, une volonté
manifeste politique de mettre un terme à ce fléau, à cette hécatombe en France,
donc on a augmenté les sanctions… Par exemple, avant, ne pas mettre sa
ceinture, ça ne coûtait qu'un point, bon, ça coûtera désormais 2 points. Le
téléphone n'était pas sanctionné en matière de points, maintenant téléphoner ça
vaudra 2 points, etc., etc. L'alcool, je vous l'ai dit, passe à 6 points dès
0,5 grammes. Là, ça va faire très mal, hein… pour les gens qui ont l'habitude
de s'alcooliser avant de prendre la route tout en ayant le sentiment de savoir
conduire et de pouvoir toujours conduire, de ne jamais être ivres, ce qui est
parfaitement vrai peut-être, mais il reste que… Alors nous attendons d'autres
décisions concernant les stupéfiants, les prises de stupéfiants au volant qui
sont en expérimentation. On espère que la décision sera bientôt prise de faire
des contrôles aléatoires comme on fait pour l'alcool. Il n'y a pas de raisons
d'attendre l'accident mortel pour détecter éventuellement la présence d'opiacés
ou d'amphétamines. Donc on espère que ça ira plus loin. On espère que ces
mesures vont porter leur… en tout cas nous avons tout à fait confiance dans ce
gouvernement puisqu'il a annoncé une volonté ferme d'être vigilant, et puis
parce que le président de la République a déclaré qu'il en faisait une cause
nationale, en numéro un. Il l'a cité, hein, lors des vœux au 14 juillet dans sa
conférence de presse, donc nous, on croit le président de la République bien entendu.»